Publiée le

En l'absence de tournoi le mardi soir 5 Août 2025, nous vous proposons, dans la série "Les histoires incroyables de Pierre Bel Étang" : Le mystère du Roi de Coeur.
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-
Les faits se sont déroulés, lors d'un tournoi de bridge, le lundi 5 juin 2023, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, bourgade située à une vingtaine de kilomètres de Rouen, la ville, selon les poncifs, aux cent clochers et pot de chambre de la Normandie. La journée s'annonçait paisible, le soleil brillait, les oiseaux chantaient, les feuilles des grands arbres du parc Saint-Rémy frémissaient sous l'effet d'une petite brise, les robes des femmes, aux couleurs printanières, bigarrées et chamarrées, voletaient formant des vaguelettes qui s'enroulaient autour de leurs tailles sylphides, les derniers irréductibles fumeurs tiraient d' ultimes bouffées de leurs cigarettes s'efforçant de dessiner des auréoles en exhalant la fumée avant de regagner, par la porte dérobée, bien que présente, par l'escalier, pour les valides, par l'ascenseur, pour les personnes à mobilité réduite, les deux petites salles de jeu sises au premier étage de la maison bourgeoise communément appelée "Le château". En attente des participants, se dressaient sept tables recouvertes chacune d'un tapis vert sur lequel trônait un matériel hétéroclite : un petit chevalet blanc numéroté en bleu, quatre étuis de couleur vert pomme contenant cinquante deux cartes chacun, quatre boîtes à enchères rouges, un curieux boîtier de couleur crème appelé Bridgemate et quatre feuilles de marque vierges. Pour les non-initiés, il faut savoir que les étuis sont disposés sur les tables, dans un ordre croissant, quatre par quatre ou trois par trois ou deux par deux selon le nombre de participants. Lorsque les joueurs placés en E/O ont terminé de jouer les donnes, ils se positionnent à la table au numéro immédiatement supérieur tandis que les étuis concernés sont transmis à la table au numéro immédiatement inférieur selon la formule consacrée "les joueurs montent, les étuis descendent". Une fois les Bridgemate activés, le tournoi démarra, mais, dès le deuxième tour, au moment de jouer la donne 22, comme il est d'usage, le joueur assis en Nord à la table 5 compta ses cartes mais n'en dénombra que 12 alors que les trois autres joueurs possédaient bien les 13 requises. Les brêmes étant quelque peu fatiguées et glissant avec difficulté en raison de leur usage répété, le compétiteur les recompta et les re-re-compta, hélas, il dut se rendre à l'évidence, il ne possédait bien que 12 cartes. On vérifia qu'il n'y avait pas de carte tombée au sol ou sur les genoux. On fit donc appel à l'arbitre pour résoudre le problème. Grâce au Bridgemate, la visualisation du diagramme permit de détecter la carte manquante, en l'occurence le Roi de Coeur Charles. Afin de permettre au tournoi de continuer, l'organisateur trouva un Roi de Coeur en remplacement du manquant et se posa la question à voix haute et intelligible "Mais où donc est passé ce fichu Roi de Coeur de la donne 22 ? "Vla les flics" ne put s'empêcher de persiffler un plaisantin, le même, se croyant spirituel, lança à la cantonade "Je l'ai vu passé dans son carrosse au carrefour du Chalet", un autre enchérissant "Un roi de perdu, dix de retrouvés !", un troisième surenchérissant "Ah, ça ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne...". Silence ! tonna d'une voix de stentor le directeur de jeu excédé par ces interventions intempestives, ce qui n'empêcha pas les uns et les autres de se perdre en conjectures, chacun y allant de sa propre hypothèse : le Roi Charles avait été décapité par un anarchiste révolutionnaire, kidnappé par un antiroyaliste, enlevé par une nymphomane insatisfaite. Autant de suppositions les plus farfelues et saugrenues les unes que les autres n'apportant aucune explication plausible. À la fin du tournoi, alors que tous les participants se levaient, une voix venue du fin fond de la salle No 2 s'écria d'une voix triomphale "J'ai retrouvé le Roi de Coeur !". Debout en Nord à la table 6, le dénommé Arsène Lapin, homme de taille moyenne, plutôt malingre, au brushing impeccable, doté, à la fois, d'une majestueuse moustache poivre et sel et d'une sacoche en forme de banane qui lui servait de sous-ventrière et ne le quittait jamais, surnommé "lapin malin" en raison d'un tic qui lui faisait retrousser la lèvre supérieure, exhibait, d'un air triomphal, la carte tant recherchée, cette-ci était tombée au moment du replacement des cartes dans l'étui et s'était insérée entre son bas ventre et sa sacoche banane. Le mystère de la disparition du Roi de Coeur de l'étui No 22 était enfin éclairci. Moralité, lorsque vous avez une banane, mieux vaut la consommer que l'exhiber.
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-
Bien entendu, toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence.
SÉEL